L’histoire nous a appris qu’elle se répète, seuls les enjeux changent. Comme la course à l’armement nucléaire qui opposa les États-Unis et l’Union soviétique dans les années 1950-1990, une guerre technologique une véritable “cyber guerre” se manifeste aujourd’hui autour de l’intelligence artificielle. Cette fois, ce ne sont plus les missiles intercontinentaux qui définissent la puissance, mais les grands modèles de langage (LLM) qui opposent principalement les États-Unis et la Chine. Tout comme l’arme nucléaire était devenue un enjeu de souveraineté politique durant la guerre froide, l’IA s’impose aujourd’hui comme un véritable enjeu géopolitique. La question n’est plus tant de savoir comment ou quand cette révolution aura lieu, mais bien qui détiendra le contrôle et la vision de cette technologie.
Cette bataille technologique se joue principalement entre deux géants aux moyens colossaux. Côté américain, OpenAI avec ChatGPT, Google avec Gemini, et Anthropic avec Claude dominent le marché mondial, bénéficiant d’investissements phénoménaux les États-Unis ont injecté 248,9 milliards de dollars dans l’IA entre 2013 et 2022. Récemment, Trump vient d’annoncer un plan Stargate de 500 milliards de dollars pour maintenir la dominance américaine. Face à eux, la Chine riposte avec des modèles comme DeepSeek, investissant massivement dans cette course technologique. Mais l’enjeu dépasse la simple performance : celui qui contrôle les LLM contrôle l’information et les données. Malgré les réglementations sur la protection des données, les géants comme Meta continuent d’exploiter cette mine d’or l’entreprise utilise depuis mai 2025 toutes les données de ses utilisateurs européens pour entraîner son IA, rappelant les scandales passés comme Cambridge Analytica. Ces données alimentent non seulement des stratégies marketing ultra-ciblées, mais peuvent aussi influencer les opinions politiques et les comportements à grande échelle. C’est un pouvoir d’influence sans précédent sur la société mondiale.
Dans ce contexte de guerre technologique, le Maroc se trouve dans une position particulièrement vulnérable. Dans tous les secteurs où il y a une utilisation de l’intelligence artificielle, c’est forcément par le biais d’une des grandes puissances États-Unis ou Chine. Que ce soit dans la banque, les télécommunications, l’administration publique, l’éducation ou les startups émergentes, aucun projet IA marocain n’échappe à cette dépendance. ChatGPT, Claude, Gemini pour le camp américain, DeepSeek et autres modèles chinois tous nos développements passent obligatoirement par ces canaux étrangers. Le constat est simple mais alarmant : le Maroc ne produit aucun modèle de langage local. Chaque requête, chaque analyse, chaque innovation de nos entreprises transite automatiquement par les serveurs de ces superpuissances. Nos données sensibles commerciales, industrielles, gouvernementales alimentent directement leurs bases de données sans que nous ayons le moindre contrôle. Cette dépendance totale fait du Maroc un pays technologiquement colonisé dans le domaine de l’IA.
Cette dépendance expose le Maroc à des risques considérables, amplifiés par un manque criant d’éducation sur les enjeux cybersécurite. Le danger numéro un reste le transfert automatique de nos données sensibles : chaque interaction avec ces LLM étrangers envoie nos informations vers les serveurs américains ou chinois, créant une faille critique dans notre sécurité nationale. Même si ces entreprises promettent le respect de normes de protection, l’histoire nous rappelle qu’aucune garantie n’est absolue les scandales Cambridge Analytica ou les révélations Snowden en sont la preuve. Plus grave encore, les législations américaines et chinoises permettent à leurs gouvernements d’accéder aux données stockées sur leur territoire en cas de “nécessité nationale”. De plus, cette dépendance nous expose au chantage technologique : en cas de tensions géopolitiques, ces puissances peuvent couper l’accès à leurs services du jour au lendemain, paralysant notre économie numérique. L’exemple de TikTok aux États-Unis ou des sanctions technologiques contre la Russie montrent que ces “armes” peuvent être activées à tout moment. Imaginez nos banques, nos télécoms ou nos administrations soudainement privées de leurs outils IA en pleine crise. Mais le problème s’aggrave par le manque total de sensibilisation : nos entreprises et citoyens utilisent ces outils sans comprendre les implications, transformant chaque utilisateur marocain en porte d’entrée potentielle pour l’espionnage économique ou industriel.
Il est temps de regarder la réalité en face : le Maroc est en train de manquer une étape cruciale de son développement technologique. Chaque jour qui passe creuse notre retard et renforce notre dépendance aux solutions étrangères. Certes, des alternatives existent techniquement nous pouvons déployer des modèles locaux, moins puissants que les géants américains ou chinois, mais suffisants pour nos besoins spécifiques. Cependant, ces solutions demandent un entraînement considérable et des investissements à la hauteur des enjeux.
Parallèlement, l’État doit impérativement suivre et réglementer les startups et entreprises qui développent des solutions IA. Une réglementation claire s’impose : toute prestation IA touchant des secteurs clés banque, santé, défense, télécommunications, administration devrait obligatoirement passer par un modèle local et bannir l’utilisation des géants étrangers. Cette mesure protégerait nos données sensibles tout en stimulant l’écosystème technologique marocain. D’autres pays appliquent déjà ces restrictions : pourquoi pas nous ? Le Maroc possède les compétences humaines nécessaires, mais il manque un cadre réglementaire ferme et des investissements publics conséquents. Cette économie sur notre souveraineté numérique pourrait nous coûter très cher.
Comme durant la guerre froide, les pays qui ne maîtrisent pas la technologie stratégique de leur époque finissent par en subir les conséquences. Aujourd’hui, cette technologie s’appelle l’intelligence artificielle. Le Maroc a encore une fenêtre d’opportunité pour agir, mais elle se referme rapidement. Nos dirigeants doivent choisir : investir massivement dans notre souveraineté numérique maintenant, ou accepter de rester éternellement dépendants des puissances étrangères. L’histoire jugera cette génération de décideurs sur leur capacité à protéger les intérêts stratégiques du royaume à l’ère numérique. Il est temps d’agir.
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